Tu es docteur en sciences naturelles, professeur pour les sciences de l’éducation et le premier lobbyiste de l’environnement en Allemagne. D’où vient cette combinaison ?
Je me suis intéressé très tôt à l’école. Mes parents avaient eu un mauvais parcours scolaire et mon père était chômeur. Si les enseignants que j’ai eus ne m’avaient pas encouragé, je ne serais pas là où je suis. Mon intérêt pour l’environnement vient de mes grands-parents qui étaient des Amis de la nature. Lorsque d’autres partaient dans le Sud pendant les vacances d’été, nous campions sur un terrain des Amis de la nature près de Hanovre. Nous ne nous posions jamais la question « l’homme ou la nature ? ». Nous vivions tout simplement avec la nature. Ce sont deux expériences décisives qui ont suscité mon engagement pour la politique climatique. A 18 ans, j’ai presque été victime d’une chute de pierres durant une randonnée en montagne. La fonte du permafrost en était la cause. Le réchauffement me touchait donc de très près. Et en 2006, au début de mon travail sur ma thèse de doctorat, j’ai animé un atelier lors d’une Conférence de la jeunesse sur l’environnement au Bundestag (Parlement allemand). Les participant-e-s y étaient très motivé-e-s – mais ne savaient pas grand-chose sur le climat. Cela ma donné l’idée du sujet de ma thèse : les représentations du changement climatique au quotidien.
L’école a bien fonctionné pour toi. Les actuels grévistes du climat se demandent toutefois pourquoi continuer d’aller à l'école, alors que leur avenir est en train d’être détruit. Pourquoi le devraient-ils ?
C’est super dangereux de penser qu’il est de toute façon trop tard. On se résigne facilement si l’on pense qu’une apocalypse est imminente. Mais nous avons besoin de pouvoir, pas d’impuissance. Si l’on agit par impuissance, on panique rapidement. Pour arrêter la crise climatique, il faut réfléchir rapidement et sur la durée. La décarbonatation n’est pas un sprint, c’est un marathon. Et pour tenir sur la durée, nous devons toucher plus que les vingt pour cent de la population qui sont de toute façon progressistes. L’école peut y contribuer grandement en donnant de bonnes bases aux élèves.
Pour arrêter la crise climatique, il faut réfléchir rapidement et sur la durée. La décarbonatation n’est pas un sprint, c’est un marathon.
Mais le fait-elle ?
L’idée de base de l’école est très bonne, puisqu’elle s’occupe de formation, de qualification, d’émancipation. De nombreuses écoles sont toutefois encore dans une logique d’usine du 19e siècle. Elle vise à former les travailleurs/-euses qui fabriqueront le bien-être de demain. Ça ne va pas dans le sens de l’idéal de Humboldt qui fonde les valeurs de notre système d’enseignement. En Suisse, le gymnase a officiellement deux buts équivalents : l’aptitude générale aux études et la profonde maturité sociale. Dans la réalité, c’est presque toujours le premier but qui est en avant. Mais ce dont la société a vraiment besoin dans la crise climatique, c’est d'un renforcement du deuxième but qu’est la maturité sociale.
Pourquoi cela ne fonctionne-t-il pas ?
Cela vient entre autres du tournant empirique dans la recherche pédagogique dans les années 1990. D’innombrables études comparatives existent et de bons indicateurs ont été développés pour mesurer les compétences. Mais tout ce qui ne se mesure pas a perdu de l’importance. Nous savons ainsi très bien comment évaluer les compétences en mathématiques et en lecture. Mais nous ne savons pas – encore – mesurer la profonde maturité sociale ; nous ne savons même pas encore la définir exactement. On reconnait généralement qu’une personne a une profonde maturité sociale que bien après sa sortie de l’école.
Je vois beaucoup de jeunes assumer leurs responsabilités au sein de la société dans le mouvement de la grève pour le climat.
Oui. Ce mouvement montre qu’il y a quand même de bons résultats malgré que l’école reste trop orientée vers la préparation professionnelle. Il y a au moins quelques élèves qui atteignent cette maturité sociale – parfois contre la résistance de l’école.
J’ai l’impression que de nombreuses/-eux enseignant-e-s donneraient volontiers plus de place aux crises environnementales, mais se sentent dépassé-e-s. Comment peut-on enseigner ce sujet ?
Il faudrait régulièrement bâtir des ponts entre la grande politique – diplomatie climatique, tarification du CO2, subventions nuisibles pour l’environnement etc. – et les réalités du quotidien des élèves. C’est une performance que de transmettre l’influence que ces « grands » thèmes ont sur mon comportement. Et je suis toujours étonné de l’effarement de mes étudiant-e-s lorsque je leur parle de ces relations. Il y a clairement des manques de connaissances en la matière. Nous avons pu montrer dans une étude que tandis que les élèves apprennent ce que sont l’effet de serre et le rayonnement en école, leurs connaissances sur la politique de la crise climatique viennent plutôt de YouTube. L’école doit se renforcer en la matière. Nous ne devons pas abandonner l’éducation politique aux médias sociaux.
En tant qu’enseignant-e il faut faire de l’équilibrisme entre éviter de dramatiser et éviter de décourager.
C’est effectivement difficile. Nous devons décrire tout le drame que constitue la crise climatique, mais nous devons aussi parler des bons exemples. Et je vois effectivement que quelque chose est en train de changer. Les paquets conjoncturels Covid 19 ne sont pas aussi « verts » qu’il le faudrait, mais ils le sont tout de même un peu. On a compris que la crise climatique ne s’arrête pas pendant la pandémie. C’est le bon moment pour poser les bonnes questions sur l’économie que nous voulons, quelles formes de mobilité etc. Durant l’été 2020, de nombreuses places de stationnement ont été reconverties en terrasses de cafés parce qu’il fallait plus de place à cause des règles de distance physique. Beaucoup de gens ont alors remarqué que la ville appartient à la population et pas aux voitures.
Lorsque tu dis que les paquets conjoncturels Covid 19 sont un peu verts, tu penses sans doute plus à l’Allemagne et à l’UE qu’à la Suisse … La politique climatique de la Suisse est-elle si différente de l’allemande ?
Beaucoup de choses changent en Allemagne. Cela a beaucoup à voir avec la Commission du charbon. Son résultat est naturellement insuffisant. Mais ce qui est important, c’est qu’on ne discute plus s’il faut sortir du charbon, mais seulement de comment en sortir. L’hégémonie culturelle a changé. Il semble qu’en Suisse, le rythme est plus lent. La Suisse n’a pas de centrales électriques au charbon et beaucoup moins d’industrie, mais c’est son niveau de consommation très élevé qui est son grand problème, car il pollue beaucoup à l’étranger. La Suisse a des paysages magnifiques sans les plaies béantes des mines de charbon à ciel ouvert. Les dégâts sont ailleurs.
Tu as parlé du changement d’hégémonie. C’était aussi notre impression à la lecture du message sur le contre-projet à l’Initiative pour les glaciers, presque plus personne ne remet en question le but de réduire les émissions à zéro. Mais il y a encore trop peu de monde qui est prêt à en tirer toutes les conséquences de sortir des énergies fossiles.
C’est la même chose en Allemagne qu’en Suisse. En paroles du moins, presque tout le monde est d’accord avec l’objectif des 1.5°C, mais c’est plus difficile lorsque ça devient concret – surtout si les mesures concrètes ne sont pas seulement techniques, mais qu’il s’agit de faire quelque chose de façon complètement différente. Les principales résistances apparaissent lorsque le style de vie est concerné.
Quelle est ta motivation à participer au conseil scientifique de l’Initiative pour les glaciers ?
Je trouve cette initiative très réussie parce qu’elle crée le lien entre la crise planétaire et la culture et la nature locales. Je vous félicite donc très chaleureusement ! L’Initiative pour les glaciers a réussi à contribuer à une hégémonie culturelle qui met l’arrêt de la crise climatique à l’ordre du jour. Celles et ceux qui s’opposent à des mesures favorables au climat doivent expliquer pourquoi ils veulent sacrifier les glaciers.
L’Initiative pour les glaciers a réussi à contribuer à une hégémonie culturelle qui met l’arrêt de la crise climatique à l’ordre du jour.
Es-tu optimiste ?
Nous vivons une époque passionnante. Nous renonçons lentement à être hypnotisés par la difficulté de la tâche. Nous commençons à transformer la société. En 2030, le mode de vie aura changé en Suisse, et en 2035 encore plus. C’est formidable de faire partie de cette transformation. Je me désespère évidemment de temps en temps parce que ça ne va pas assez vite – et ensuite je vois avec étonnement et plaisir tout ce qui a déjà changé. C’est formidable de participer à ce processus.